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Sommaire :
1. L'histoire du village
2. Les veillées paysannes et la jeunesse à Kerling-lès-Sierck
3. Carte postale de Kerling-lès-Sierck

Sommaire :
1. Extrait du courrier de Metz du 11 novembre 1946
2. Témoignage de François Schanen 

3. Fosse commune de Kerling-lès-Sierck
4. Rapport détaillé de la bataille de Kerling et de ses alentours

1. Extrait du courrier de Metz du 11 novembre 1946

     Bientôt deux ans que notre village a été libéré du joug allemand. Deux ans aussi, que les gens ont connu les pires angoisses du bombardement qui devait causer, hélas! non seulement la destruction de plus des deux tiers du village, mais aussi des morts parmi la population déjà tant éprouvée par l'évacuation de 39.

     Le 9 novembre 1944, les premiers éléments américains entrèrent dans le village, un peu plus d'une centaine et qui auraient pu occuper tout le village si le destin n'en avait décidé autrement. Dans leur retraite depuis l'intérieur, les Allemands avaient amené avec eux trois femmes françaises, de mœurs légères. À l'arrivée des Alliés, le Boche avait fui, laissant sur place ces trois femmes.

Voyant qu'il n'y avait aucun blindé américain, ces trois femmes ne tardèrent pas à rejoindre les Allemands et à leur communiquer ce renseignement qui devait conduire ces derniers à contre-attaquer en force, soutenus par des chars lourds. La présence des blindés n'échappa pas à l'observation américaine, car, peu après, le village subissait un tir d'artillerie de plus de trois-quarts d'heure. Aussitôt, la population se réfugia dans les caves pour attendre la fin de ce déluge de feu.

     Au fracas infernal des obus se mêlaient les crépitements secs des mitrailleuses, et ce, durant cinq jours et nuits.

Vers 4 heures du matin le premier jour, les villageois eurent un court moment d'espoir, mais la désillusion ne tarda pas car, aux bruits sourds des bottes ferrées fracassant les portes, se mêlaient la voix gutturale du Teuton :

"Aufmachen, sonst wird alles verbrannt !" Et les fouilles commencèrent.

     Par malheur, ils devaient découvrir quatre Américains dans la grange de M. Schweitzer Jean. La représaille fut brutale. A l'aide d'un char lance-flamme, la maison fut incendiée. M. Schweitzer devait être fusillé à la sortie du village, mais put s'évader grâce à la complicité d'un vieil Allemand, vétéran de 14-18.

     Le troisième jour, les chars américains purent passer la Moselle. Sept chars allemands et plus de 700 cadavres restèrent sur le territoire de la commune. Les pertes, du côté américain, se montèrent à environ 200 morts.

     Cependant, les habitants devaient encore subir une humiliation de la part du vainqueur. Pied nu mal habillés, ils durent quitter leurs abris pour être conduits à la sortie du Village afin d'y être parqués, tels des moutons.

Tout le village était accusé de s'être livré à l'espionnage. Pendant 8 jours, la population coucha dans deux caves gardées par des sentinelles. Par bonheur, un groupe d'américains, échappé on ne sait comment à la perquisition, témoigna en notre faveur et tout rentra dans l'ordre.

Décrire l'aspect du village n'est guère possible. Pendant des mois, les hommes s'employèrent à déterrer le bétail enseveli sous les ruines pour l'enterrer ailleurs. Il fallait boucher les trous, les murs, réparer ici et là, et toujours avec des moyens de fortune; retaper un lit, une chaise ou une armoire pour avoir un peu de mobilier.

La reconstruction a certes fait du travail, mais il reste énormément à faire. Kerling n'oubliera pas de sitôt ce que lui a coûté sa libération : les ruines en témoigneront toujours.

2. Témoignage de François Schanen 

Source du témoignage : Kleiser Jean, 1609 jours sous la botte... 20 Juin 1940 - 16 Novembre 1944, 2004.

 

     Après le franchissement de la Moselle sur des pontons par les troupes américaines, une centaine de soldats avec armes légères entrèrent vers 15h dans le village. Il restait quelques "Volksstrum" (éléments disparates d'hommes âgés etc.) allemands, dont 6 cachés dans la cave de leur maison. Après avoir remisé leurs fusils dans un coin de la cave, ils se rendirent sans plus de manières en sortant de leur cachette, les mains sur la tête. Les soldats US cassèrent immédiatement les crosses de leurs fusils. Des avions d'observation américains, ne sachant pas que le village était occupé par les troupes amies, lâchèrent des bombes à moins de 500 mètres des lieux. Vite, les gens de l'infanterie parlant allemand cherchèrent à se procurer des draps blancs pour les étaler sur le sol afin de signaler à l'aviation leur présence, car à cette heure-là, ils n'auraient pas encore dû occuper la localité. La couleur de ces tissus que l'on étendait au sol pour signaler sa présence changeait chaque jour suivant les prescriptions (blanc, jaune, orange).

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François Schanen - 1950 ou 1952 -

     Dès le début de la contre-offensive allemande dans les Ardennes, les troupes américaines se replièrent sur la Moselle pour protéger les ponts. Les villages de l'avant ne conservaient plus qu'une faible garnison. Les soldats étaient gâtés par les habitants. Mais un jour, malheureusement, une contre-attaque allemande se produisit également à Kerling. "Les Allemands arrivent !". Cinq soldats américains logés dans la maison familiale n'eurent que le temps, sous la conduite du père, de fuir à toutes jambes par l'arrière de la maison côté jardin. Ils eurent ainsi la vie sauve. Trois jours après, ils revinrent et offrirent du whisky à leurs sauveteurs. Puis, pendant deux mois, les troupes alliées logèrent dans le village et il y eut une grande période de fraternisation. Le Génie militaire partit en direction de la Sarre, pour y installer des ponts provisoires. Ils laissèrent beaucoup de nourriture aux habitants. M. Schanen se souvient qu'il y avait dans la maison plusieurs boîtes de 5 kilos de cacao. Quel régal après cette période de vaches maigres ! Il y avait du pain à foison. Une roulotte qui s'était installée devant la maison fabriqua tant de pâte pour confectionner l'une de leurs spécialités, les "pancakes", que tout le village put en profiter pendant plusieurs jours.

3. Fosse commune de Kerling-lès-Sierck

     Après les affrontements à Kerling, s'est posé la question du devenir des cadavres des soldats allemands morts dans la commune. D'après quelques témoignages oraux des habitants dont François Schanen, les soldats américains ont creusé une fosse commune à l'entrée de Kerling, le long de l'actuelle D855 à l'Ouest du village. La présence et la localisation de la fosse est contestable mais il semble qu'elle existe bel et bien et qu'elle se trouve dans la zone marquée ci-dessous. Les Allemands seraient enterrés sous 3-4 mètres de gravats des débris du village. 

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Schéma montrant la potentielle fosse commune de Kerling (zone en bleue)

4. Rapport détaillé de la bataille de Kerling et de ses alentours

     Le vendredi 10 novembre, l'ennemi se déchaîne soudain et le 3ème bataillon est chassé de Kerling par une contre-attaque suicidaire :

A 3 heures du matin, une compagnie du 59ème V.G.R de la 19ème V.G.D soutenue par 3 canons d'assaut, débouche du vaste massif forestier qui s'étend de Budling à Remeling, et se jette par surprise sur le 3ème bataillon qui tient Kerling. Elle enlève les 2 postes qui tenaient le débouché vers l'Est, sur la route de Kirschnaumen, et s'empare des deux canons antichars censés bloquer cette route.

     Les G.I qui devaient garder cette entrée, exténués par les combats de la veille, s'étaient réfugiés dans une grange pour dormir, ainsi les Allemands purent pénétrer la position sans être repérés. Mais dès que l'ennemi révéla sa présence en ouvrant le feu, un combat confus et désespéré s'ensuivit par petits groupes totalement isolés les uns des autres, dans la confusion de la nuit. Les compagnies L et K résistent de leur mieux en utilisant les maigres moyens à leur disposition, à savoir un bazooka par section et quelques grenades à fusil. Un char allemand est détruit. Les Allemands marquent un temps d'arrêt face aux Américains qui n'ont abandonné que les lisières Est du village sur lesquelles l'artillerie U.S concentre ses tirs.

     Malgré cela, l'ennemi repart à l'attaque vers 9 heures avec des renforts débouchant de Lemestroff (Sud de Kerling). Déjà malmené par les combats de la nuit, le 3ème bataillon est pris en tenaille. Les blindés allemands et les Volksgrenadiers pénètrent dans la ville. Avec leurs seules armes légères, les G.I soutiennent un combat désespéré. Le Lieutenant-Colonel Smith, qui a perdu tout contact avec son unité, ne put échapper que de justesse de la maison qui lui servait de P.C... Peu à peu, les Américains, repoussés progressivement dans le quartier Nord de la ville, s'échappaient par la route de Petite-Hettange et se retrouvaient dans la zone du 1er bataillon. Le Colonel Smith ne parvint à rallier ses hommes que dans le bois à l'Est de Hunting. Un rapide bilan lui révéla que les pertes étaient sévères : une section de mitrailleuses de la compagnie M manquait en totalité.

     C'est le Capitaine Oral G. Nelson, commandant la compagnie L, officier survivant le plus gradé, qui conduisit les survivants vers Petite-Hettange pour les placer en position défensive. Une partie du 357èmr R.I qui se trouvait à Métrich vint également renforcer les lisières Sud-Est de Petite-Hettange. Dès que la perte de Kerling fut confirmée et que le Q.G U.S fut certain qu'il n'y restait plus de G.I, l'artillerie commença le pilonnage de la ville. Heureusement, l'ennemi, éreinté par la férocité des combats de la nuit et le pilonnage d'artillerie qu'il subissait, ne cherchait pas à s'avancer au-delà de Kerling.

Maigre compensation de la journée, le 359ème R.I s'était emparé de la petite ville de Rettel à l'Est de Sierck-les-Bains.

     Le 10 novembre vers 17 heures, les G.I de la 991ème compagnie de pontonniers pensèrent être arrivés au bout de leurs peines. Les deux extrémités du pont de Malling avaient été allongées mais les câbles de sécurité n'avaient pu être mis en place. Le commandement décida néanmoins de faire passer quelques chars au ralenti dans la nuit. Mais, alors que les chars du 607ème bataillon de tanks destroyers sortaient à peine de la forêt de Cattenom, l'ancrage sur la rive droite céda sous la poussée du courant et le pont vint se mettre en travers du lit de la Moselle. Il fallait tout démonter dans des conditions périlleuses pour reposer les éléments dans la bonne position. Le génie dut réaliser des exploits pour ravitailler la tête de pont de Malling - Basse-Ham avec les derniers bateaux d'assaut disponibles et quelques canots pourvus de moteurs hors-bord.

     Les historiens américains (Cole, Colby, Weaver et Kemp à leur suite) affirment que la victoire des Allemands à Kerling ne fut possible que par la trahison de certains français pro-nazis qui auraient donné aux Allemands le schéma des positions du 3ème bataillon du 359ème R.I... Ceci expliquerait l'efficacité de l'attaque ennemie qui, dans l'obscurité totale de la nuit, parut trouver sans peine les avant-postes U.S et fondait sur les retranchements américains avec une précision diabolique. John Colby rapporte même que le Colonel J. F. Smith vit de ses propres yeux un civil qui désignait du doigt son P.C de Kerling à un tankiste ennemi dans son char arrêté juste devant la maison en question !

     Le samedi 11 novembre, malgré les déboires de la veille, le 359ème R.I attaque juste avant le lever du jour. Son 1er bataillon, en position à l'extrémité gauche de la tête de pont (bois à l'Est de Hunting), subit un violent bombardement puis se voit brusquement attaqué par environ 150 Volksgrenadiers accompagnés de trois canons d'assaut (Sturmgeschütze) de la 19ème V.G.D arrivant par l'Est, du côté de la ferme de Koenigsberg. Heureusement, le bataillon avait reçu dans la nuit plusieurs canons antichars de 57 mm qui éliminèrent deux des trois canons d'assaut ennemis. Néanmoins, il dut reculer sous la charge. Heureusement, une section très entamée de la compagnie A (il ne lui reste que 10 hommes valides) chargea sur le flanc ennemi et désorganisa les attaquants. A ce moment, l'artillerie U.S entra en jeu avec une grande précision, achevant de paralyser l'attaque allemande.

     Finalement, le capitaine Albert L. Budd de la compagnie G, conduisant une section du bataillon de réserve, mena un nouvel assaut sur le flanc ennemi. Bien que sérieusement blessé, il continua à diriger ses hommes jusqu'au moment du repli des Boches. A 9 heures, tout le terrain initialement perdu avait été repris.

Sur le flanc opposé, le 3ème bataillon, qui venait de prendre position sur les hauteurs au Nord de Kerling, subit également une contre-attaque d'infanterie et de canons d'assaut contre lesquels il ne disposait que de bazookas insuffisants pour stopper cette offensive. En désespoir de cause, il fut demandé  à l'artillerie de continuer ses tirs bien que l'ennemi se trouvât déjà dans les lignes du 3ème bataillon. Les pertes furent sévères, aussi bien dans les rangs allemands que parmi les Américains victimes des éclats de leurs propres obus : le Capitaine Frank Neuswanger de la compagnie I et le Capitaine Henry Bauschausen de la compagnie  K furent tués au moment où ils cherchaient à rallier leurs troupes. Finalement, le 3ème bataillon se ressaisit, de furieux corps à corps se déroulèrent et l'ennemi épuisé se retira.

Quant au 2ème bataillon, ses positions changèrent peu  dans la journée car il se trouvait bloqué par des champs de mines devant Oudrenne.

En milieu de matinée, l'attaque du 359ème R.I put reprendre et il réoccupa les hauteurs au Nord de Kerling après de rudes combats, mais Oudrenne restait aux mains de l'ennemi. Les américains bloquaient la route nationale Sierck-Thionville au Sud-Est de Rettel et le flanc gauche de la 90ème D.I paraissait stabilisé, bien que sa ligne de défense fût toute relative.

     Le pont de Malling fut enfin prêt le 11 novembre à 14 heures, mais la voie d'accès sur la rive gauche entre Gavisse et le pont était inondée. De ce fait, il ne sera utilisable que le lendemain. En attendant, les camions du génie purent néanmoins l'emprunter en raison de leur importante garde au sol. Ils pourront transporter des jeeps, des canons antichars, des munitions, des médicaments et des vivres dont les G.I ont si besoin. Le niveau des eaux commençait par ailleurs à baisser, ainsi envisageait-on de pouvoir faire passer des tanks dans le milieu de la nuit du 11 au 12 novembre.

     Le dimanche 12 novembre vers 0 heure, le niveau des eaux ayant suffisamment baissé, l'état major américain décida de faire passer dans la poche une section de tanks destroyers du 773ème bataillon en utilisant le pont de Malling. Il s'agissait de renforcer le secteur de Kerling jugé prioritaire après les déboires du 3ème bataillon du 359ème R.I. Les trois chars de tête se présentèrent devant le pont et commencèrent une traversée très prudente. A ce moment, l'ennemi qui envisageait une contre-attaque sur Malling dans les heures suivantes, débuta de violents tirs d'artillerie. Alors que les deux premiers chars avaient pu passer et rejoindre Malling, le pont reçut alors un obus qui fit basculer le 3ème char dans la rivière et endommagea le pont.

Ce que voyant, les sapeurs de la 991ème compagnie du génie pontonnier mirent en place un ferry à proximité, dans des conditions extrêmement difficiles. Mais les eaux baissant toujours, il s'avéra que des tracteurs d'artillerie M 4, traînant des remorques du génie, pouvaient traverser maintenant la rivière à gué sur le site de Malling. Deux heures plus tard, six camions de 6 tonnes, normalement utilisés pour transporter des éléments de pont flottant, étaient également capables de passer à gué en transportant des jeeps chargées de ravitaillement de première nécessité  et des pièces d'artillerie. Parallèlement, les travaux de réparation du pont étaient entrepris par la 991ème compagnie de génie pontonnier qui reçut la "distinguished unit citation" pour son courage et sa détermination sur le site de Malling.

     Grâce à la baisse des eaux et aux moyens de traversée mis en place, en particulier le ferry, deux sections de tanks destroyers et deux sections de chars Sherman pourront passer dans la poche au cours de la journée du 12 novembre.

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